GRANDE VÉNUS CALLIPYGE ASSISE

TLATILCO – Mexique

1150 - 600 AV J.-C.

Hauteur : 30.3 cm - Largeur : 19.5 cm - Epaisseur : 10 cm

Terre cuite creuse brune, recouverte d’un engobe rouge brique, avec traces d’oxyde de manganèse

 

Cette femme au physique singulier est un très bel exemple de l’art de Tlatilco, haut lieu de création à la période préclassique, situé sur les rives du lac Texcoco aujourd’hui disparu, à proximité de l’actuelle Mexico. La réputation de ce très ancien site archéologique provient des tombes qui y ont été trouvées au XXe siècle, contenant des offrandes remarquables par leur nature et leur abondance, et notamment un grand nombre de figurines caractérisées par leur nudité et leur volupté.

Notre œuvre compte parmi les plus belles réalisations que l’on connaisse, du point de vue de l’éclat de sa couleur, de sa grande taille, du rythme harmonieux de ses courbes et de sa superbe surface vernissée, polie avec un soin que seul un objet de grande valeur méritait.

Ni tout à fait réaliste, ni tout à fait abstraite, construite avec des proportions inégales voire incongrues, tout en étant parfaitement équilibrée, elle exprime à merveille l’originalité du langage pictural des sociétés villageoises de l’ancien Mexique dès l’époque préclassique, qui marquera des millénaires plus tard l’avant-garde des sculpteurs et peintres occidentaux de l’après-guerre.

Prenant appui sur son fessier et ses jambes grandes ouvertes, cette femme se tient droite, avec les bras tendus horizontalement, faisant office de balancier. Sa tête très allongée, avec l’arrière du crâne aplati, ainsi que ses yeux bridés et obliques sont le résultat d’une déformation rituelle de type tabulaire droit.

Cette coutume, avec des variantes, s’est toujours pratiquée en Mésoamérique et semblerait concerner les dignitaires, qui par là-même manifestaient leur différence et leur noble statut. Symboliquement il s’agirait de donner une importance particulière à la tête, siège de l’âme, et vraisemblablement la forme d’un épi de maïs, associé aux concepts de fertilité et d’abondance.De forme rectangulaire, le visage est structuré par les lignes saillantes des arcades sourcilières plongeant entre les deux yeux effilés, aux pupilles perforées et aux paupières gonflées. Dans le prolongement de ses arcades marquées, le nez, menu et retroussé, donne à voir les narines étroites et percées avec un air passablement hautain.

La bouche, figurée par une fente horizontale, et les lèvres fines et gonflées, confèrent également une moue particulière à cette femme dont plusieurs caractéristiques indiquent qu’elle est de rang élevé. Les oreilles d’abord, qui portent des disques au niveau des lobes, la déformation crânienne ensuite, et enfin les bandes en relief visibles sur et derrière la tête, représentant une tonsure ou une coiffe élaborée. Chacun de ces détails correspond à l’iconographie des élites en Mésoamérique et confirment l’importance de cette effigie.

En ce qui concerne le corps, on retrouve ici les formes propres aux figures Tlatilco, avec cette distance par rapport à la réalité qui les rend profondément originales. L’artiste n’a pas représenté les épaules, les bras abrégés partent directement du cou pour s’étendre horizontalement à l’aplomb du buste en formant une sorte d’étoile. Particulièrement courts, ils se résument à deux appendices coniques au bout desquels on aperçoit les mains schématiques qui comptent quatre doigts chacune. 

Il est peu probable que ces caractéristiques soient le reflet de difformités, comme on a pu l’affirmer. Elles sont plus vraisemblablement liées à des conventions stylistiques, ayant peut-être une connotation symbolique. À moins qu’il ne s’agisse d’un parti-pris du céramiste dans un souci d’équilibre générale de son œuvre ou bien encore la résultante d’une contrainte technique rencontrée par ce dernier…

Le reste du corps adopte la belle silhouette en violon qui vaut au figures Tlatilco le qualificatif de Vénus callipyge. La taille haute et fine précède ainsi des hanches évasées, menant à des jambes charnues et écartées, dans une nudité sensuelle et voluptueuse dont on pense qu’elle pourrait exalter la part féminine et maternelle de ce personnage, jouant probablement un rôle actif dans les cultes et rites se rapportant à la fécondité et à la fertilité.

À cet égard, la position dans laquelle est figurée cette femme est interprétée par certains comme celle d’un accouchement, à moins qu’elle ne soit représentée participant à une cérémonie et adressant ses prières aux puissances supérieures dans l’espoir qu’elles se montrent clémentes.

À noter : Le ventre rebondi porte un large trou d’évent en guise de nombril, permettant l’évacuation de la vapeur d’eau lors de la cuisson de la céramique, évitant que l’argile n’éclate en morceaux sous l’effet de la pression. Un autre trou plus large se trouve également sous les fesses.

Enfouies dans les sépultures, traditionnellement situées dans les fondations des maisons, de sorte à ce que les défunts continuent de participer à la vie des familles du village, la présence de ces figures féminines dans ce qu’il reste des tombes de Tlatilco relierait les cultes de la fertilité au culte des ancêtres, censés intercéder auprès des esprits et des dieux pour qu’ils prodiguent aux vivants nourriture et assistance.

Parmi l’ensemble des œuvres que nous a livré ce site archéologique majeur, notre pièce se distingue par sa très belle taille peu commune et sa qualité sculpturale parfaitement aboutie.