PRISONNIER DEBOUT
MAYA – Jaina – Mexique
600 – 900 AP. J.-C.
Sculpture anthropomorphe représentant un prisonnier, nu et aux mains liées dans le dos.
L’homme est debout, les jambes écartées et les bras fermement attachés dans le dos au niveau des poignets, faisant pencher le haut du corps légèrement vers l’avant. La tête est tournée vers la gauche et le regard orienté vers le haut exprime une certaine défiance. Le visage est celui d’un homme d’âge mûr dont les joues sont marquées par de profondes rides. Une moustache élégamment taillée orne la lèvre supérieure, tandis que la bouche entrouverte laisse apparaître la dentition bien définie. Le nez est large et proéminent ; il présente des scarifications. L’arête a été modifiée par l’insertion d’ornements. Ce traitement du nez n’est pas inhabituel comme en attestent d’autres figurines qui présentent un aspect similaire. Un motif festonné constitué de peau scarifiée surmonte l’arcade sourcilière gauche ; un autre similaire était probablement également présent du côté droit. Mais l’œil droit est maintenant presque entièrement caché par la tuméfaction du scalp et des tissus frontaux. Cela est sans doute le résultat d’un traumatisme crânien subi durant sa captivité ou causé par un acte de torture subséquent. Une autre blessure semblable à une boursoufflure est aussi apparente sur la joue gauche.
Un aspect particulièrement intéressant et intrigant de ce personnage est la profonde et étroite entaille présente dans la tête, du sommet du crâne jusqu’au bas des oreilles. Celle-ci a dû être réalisée durant le processus de modelage et donc avant la cuisson. La comparaison avec trois autres figures de prisonnier similaires est pour cela éclairante. Toutes les quatre présentent un certain type d’entaille au sommet ou à l’arrière de la tête. Celle du Musée National d’Anthropologie de Mexico a un petit trou au sommet de la tête. Cela pourrait avoir été utilisé comme trou d’évacuation de la vapeur lors de la cuisson, mais il pourrait également avoir eu une autre fonction, comme celle de maintenir une touffe de cheveux ou un autre type de matériel périssable. La deuxième figure de prisonnier provient du Princeton University Art Museum. Ici, l’arrière du crâne a été intentionnellement entaillé, probablement après la cuisson, afin de permettre la fixation d’une chevelure ou d’une autre matière périssable. Enfin, un traitement très similaire est évident sur une troisième statuette de prisonnier, aujourd’hui conservée au sein des Fine Art Museums de San Francisco. Ces quatre figurines sont relativement semblables : dans leur posture d’abord, mais aussi dans le fait que trois d’entre elles montrent un traumatisme à l’œil ou autour de celui-ci, et enfin parce qu’aucune ne présente la chevelure ou coiffe caractéristique, telle celle que l’on retrouve généralement sur les autres statuettes de type Jaina. C’est pour cela que l’on peut imaginer, pour ces figurines-ci, que le scalp a été entièrement ou partiellement enlevé, afin d’être remplacé par une quelconque matière organique fixée ou insérée dans la fente du crâne.
Un autre aspect intéressant est la nudité du personnage. La nudité totale est un élément très inhabituel pour les Maya et est principalement réservé aux prisonniers, souvent dans un contexte de guerre. La présentation publique d’un corps humain nu, avec ses organes génitaux ainsi exposés, est un déshonneur puisque l’individu est alors dévalué et réduit au statut d’animal. Cette position humiliante est ici accentuée par le retrait de tous les ornements du prisonnier. Il devait être d’un haut rang social et faire partie de l’élite, ce qui lui permettait d’arborer fièrement de somptueux bijoux, très certainement de jade. A ce stade-ci, il porte encore d’importants pendants d’oreilles, ainsi qu’un épais collier décoré de disques et un large pendentif en coquillage. Il a également un second collier, composé de trois grosses perles sphériques, sur la partie basse de sa poitrine. Cependant, il ne porte plus de coiffe, le symbole élitiste par excellence. Mais les circonstances extraordinaires de la préservation de cet ornement nous donnent une idée de son style et de sa taille. En effet, la conservation exceptionnelle de cette figurine et de ses divers éléments appliqués a permis de sauver au moins une des composantes principales de la coiffe. Suspendu le long du bras droit, on trouve un diadème composé d’une superposition de plaques rectangulaires, peut-être de jade ou de coquillage. La plaque centrale était jadis décorée en son centre d’une perle aujourd’hui disparue. Cette parure devait certainement reposer fièrement et élégamment sur le front du personnage, comme en témoignent d’autres statuettes Jaina. Le fait qu’un prisonnier porte ainsi certains de ses plus beaux atours atteste le statut élevé de la victime et augmente de cette manière le prestige du conquérant. Pourtant, le déshonneur de la victime est clair et indéniable puisque sa coiffe pend dorénavant de son épaule droite de façon peu conventionnelle.
Cette figurine Jaina une tout à fait exceptionnelle par la représentation délicate des détails de la tête, ainsi que son remarquable état de conservation. Les statuettes Jaina sont connues pour leur exécution très précise des visages de leurs personnages et le rendu extrêmement fin de leurs parures sophistiquées. Le visage de ce prisonnier illustre parfaitement la dureté du traitement qu’il a enduré, mais également la détermination qui l’habite et le pousse à défier son tortionnaire. L’état de conservation de cette sculpture est sans égal parmi les exemples connus de prisonniers Jaina. De plus, les figurines similaires, où le prisonnier est mis en scène debout et attaché, sont extrêmement rares. Seulement trois autres sont référencés, toutes dans des collections muséales.